Bien connu des passionnés de football dans l’agglomération Roussillonnaise, Didier CHRISTOPHE a fait les beaux jours de l’Etoile Sportive Roussillonaise. Né à Vienne, il découvre le football sur le tard mais parvient tout de même à taper dans l’oeil des recruteurs de l’AS Monaco après 3 ans passés à l’INF Vichy. S’en suivra une riche carrière qui l’emmènera dans de grands clubs français (Monaco, Lille, Toulouse, Rennes…), avec en prime 6 sélections avec l’équipe de France dans les années 80.
Après l’arrêt de sa carrière professionnelle en 1990, il devient entraineur/joueur de l’Etoile Sportive Roussillonnaise, puis directeur technique du club. Il apportera son professionnalisme, sa rigueur et sa science du football aux seniors comme aux plus jeunes dont un certain Carl MEDJANI.
Nous avons souhaité prendre quelques nouvelles de ce personnage emblématique du football local.
Bonjour Didier, tout d’abord comment allez-vous en cette période pour le moins compliquée ? Que devenez-vous ?
“Hormis une parenthèse à Paris où j’étais Directeur du Pôle France de Football Féminin à l’INSEP de 2014 à 2016, je me suis installé au Pays Basque à Saint Jean de Luz depuis 2009. J’ai créé ma société SD Consulting, spécialisée dans la formation professionnelle des entraîneurs, en recherche d‘emploi ou en reconversion en lien avec le syndicat des entraîneurs (UNECATEF) et de la gestion des émotions dans tous les domaines. Je considère également, depuis plusieurs années, que la marche est une activité de liberté, d’indépendance et de plénitude qui me permet de garder du dynamisme. C’est pourquoi, en parallèle, j’accompagne en période printanière et estivale des randonnées découvertes sur le littoral et l’arrière-Pays Basque.”
Vous avez été joueur professionnel dans plusieurs clubs de l’élite, mais également international Français (6 sélections). Quel est votre meilleur souvenir de joueur ?
“Il est difficile de faire le tri. Mais ce dont je suis le plus fier c’est d’avoir réussi une carrière de footballeur professionnel alors que je disposais d’un talent inné de basketteur. Dès mon plus jeune âge, je suscitais toutes les convoitises des meilleures équipes du moment et mon avenir était tout tracé. D’ailleurs, il a été nécessaire d’organiser un conseil de famille, entièrement dévolu au basket, pour m’autoriser une bifurcation vers le foot. Ce qui a été accordé à condition …de réussir! Pour autant, comment ne pas évoquer ma 1ère sélection en Equipe de France après seulement 12 matchs en professionnel, les titres de Champion de France et vainqueur de la Coupe de France avec l’AS Monaco.”
Après avoir raccroché les crampons, vous avez passé vos diplômes d’éducateur. Pouvez-vous nous parler de votre parcours en tant que technicien ?
“Je n’étais pas spécialement intéressé par les formations d’entraîneur. Je considérais que l’expérience d’une carrière de footballeur professionnel suffisait pour devenir un acteur du banc de touche. J’ai cependant dû me résoudre à passer tous mes diplômes pour envisager un retour dans le monde professionnel, tout en faisant mes classes au niveau amateur à l’Etoile Sportive de Roussillon et au Football Club de Bourgoin Jallieu. Ce qui a d’ailleurs été une aubaine pour découvrir et apprivoiser tous les méandres d’un club de football.”
Avec le recul et l’expérience, vous avez vu évoluer le football depuis de nombreuses années. Quelles sont aujourd’hui les qualités essentielles d’un bon éducateur de football ?
“Je vais reprendre une citation de Johann Cruyff : « le plus compliqué dans le football, c’est de faire simple » Aujourd’hui, je me demande comment font les éducateurs pour s’y retrouver à travers toutes les « sciences infuses » qui sont dispensées à droite et à gauche. Pour faire bref, j’ai le sentiment que tous ces jeunes éducateurs qui débutent sur le terrain, que ce soit en amateur ou en professionnel, sont robotisés par l’intellectualisation des formations. Si aujourd’hui vous ne parlez pas de périodisation technique, de préparation mentale, des systèmes symétriques ou de losanges asymétriques, d’apprentissage du jeu basé sur la causalité circulaire et non linéaire, n’utilisez pas les GPS, la vidéo, vous êtes hors-jeu. Je sais que c’est à la mode. C’est d’ailleurs ce que j’appelle « le business des formations de football ». Pour en revenir à la question, je dirais que la qualité essentielle d’un éducateur, c’est de s’appuyer sur sa propre personnalité et d’agir sur les leviers pédagogiques sur et en-dehors du terrain. C’est ce qui permettra d’emmener les joueurs, votre encadrement technique et toutes les composantes du club là où vous voulez qu’ils aillent. Il faut donner à tout le monde la considération méritée au regard de leurs investissements, notamment dans les clubs amateurs.”
Vous êtes bien évidemment connu du grand public de par votre très belle carrière de joueur, mais vous êtes également connu dans notre région suite à votre passage au sein à l’Etoile Sportive Roussillonnaise. Quels souvenirs gardez-vous de cette époque ?
“J’ai adoré ce club. J’ai côtoyé sur et en dehors du terrain des gens formidables. Certes, mon exigence et ma rigueur ont pu surprendre. Mais très vite, les pseudos-barrières ont cédé et l’osmose s’est révélée parfaite. Pendant toutes ces saisons, j’ai entraîné toutes les équipes du club. Le samedi, je partais avec les 13 ans en Drôme- Ardèche, idem le dimanche avec les 17 ans, puis je rejoignais l’équipe première pour jouer et coacher en même temps. Nous avons créé des tournois de niveau national (avec des trophées et challenges créés par la Poterie Roussillonnaise) chez les jeunes avec une intendance et une logistique hors normes. Tout était fluide du début à la fin grâce à ma complicité avec Jean-Claude Grail dans le domaine technique et à des parents et dirigeant(e)s investi(e)s. Nous avons organisé des stages de préparation à Autrans en début de saison et mis en place les premiers stages pour les jeunes en demi-pension. J’ai eu à ma disposition des joueurs, de toutes les catégories, très respectueux, à l’écoute, prêts à fournir les efforts indispensables à l’optimisation de la performance individuelle et collective. Pour étayer mes propos, il y a une anecdote qui me revient en permanence à l’esprit. Alors que la neige était tombée en grande quantité sur la région, j’ai maintenu les entraînements. Le premier soir, tout l’effectif était là avec un petit sourire dans le coin des lèvres, en espérant peut-être une « bataille de boules de neige ». Le problème, c’est que j’avais demandé aux services techniques de la ville de m’amener une trentaine de pelles pour déblayer l’espace entre les deux terrains de la Terre Rouge. Ce qui fut fait en 15’ pour une bonne séance de préparation physique d’une heure qui s’est terminée par la « bataille de boule neige » souhaitée. Je pense sincèrement que bon nombre de ces joueurs auraient pu être joueurs professionnels. Mais ils ont fait le choix d’une vie professionnelle et familiale structurée sur la durée.”
Vous avez eu l’occasion d’encadrer un certain Carl MEDJANI avant qu’il ne parte à l’AS Saint Etienne. Selon vous, qu’est-ce qui a permis à Carl de faire une belle carrière ? Aviez-vous détecté son potentiel à l’époque ?
“Je connais Carl et sa famille depuis des années. Et j’ai ici une pensée toute particulière pour sa maman trop vite partie. Je pense également à son grand-père Jo Heinrich qui est venu me voir, à la Terre rouge, pour l’inscrire dans mes stages à Autrans. Non sans me prévenir qu’il veillerait à ce que ce soit bien un stage de football et non pas un stage simplement à but lucratif. Il a été vite rassuré. Du coup, Carl a signé à l’Etoile Sportive Roussillonnaise. Ce qui a été un coup de tonnerre dans le monde du football local. Très vite, il a été surclassé et il a poursuivi ses gammes techniques déjà inculquées par son grand-père sur les terrains des cités. Il ne faisait aucun doute qu’il ne resterait pas très longtemps à Roussillon. Son potentiel physique hors norme lui a permis d’être incontournable chez les jeunes, puis chez les professionnels. Le problème, et nous l’avons souvent évoqué ensemble, c’est que sa formation n’a été faite que sur ses points forts. Or, en matière de formation, le travail doit s’orienter sur les points faibles. Pour Carl, je pense que l’on a négligé les aspects comme la vitesse gestuelle et d’exécution, la vivacité sur les premiers appuis pour démarrer et/ou se retourner. C’est ce qu’il y a de plus important à travailler quand on dispose d’un tel potentiel physique et d’une compréhension du jeu de très bon niveau. Et je sais de quoi je parle puisque mon profil s’apparentait au sien. Bon, j’étais nettement meilleur dans le jeu de tête 😊. Pour autant, beaucoup aimerait avoir une carrière comme la sienne. Mais avec moi en formateur, elle aurait été encore meilleure et ça aussi il le sait 😊. A 64 ans, il faut bien se faire quelques compliments.”
Pour les nostalgiques mais également pour les amateurs de football sur notre territoire, est-il envisageable un jour de voir Didier Christophe de nouveau assis sur un banc de touche, avec la tenue de l’Olympique Salaise Rhodia ?
“La mode aujourd’hui est celle des staffs élargis. Si chez les pros cela se comprend, au niveau amateur, disposer d’un entraîneur adjoint, d’un préparateur physique, d’un entraîneur de gardiens de but, d’un assistant vidéo, d’un préparateur mental, de deux kinés à disposition me paraît surdimensionné et doit coûter cher aux clubs. Quant à l’environnement, ce serait trop long pour l’évoquer. Tout ça pour dire que je suis déconnecté de la réalité du football aujourd’hui. Tout cela ne correspond plus à ce que je crois. Très souvent, les entraîneurs me paraissent nés d’une fusion irréelle des plus grands comme Klopp, Guardiola, Mourinho, Ancelotti etc…. et sont hypnotisés par leurs réussites. Je reste convaincu que l’excellence est une valeur propre à chaque individu qui lui fait atteindre le meilleur de lui-même sans pour autant qu’il s’efforce d’être une pâle copie des plus grands.”
Un grand merci à Didier CHRISTOPHE pour cette interview passionnée et passionnante !